Le 1er juin 2019 marque l’entrée en vigueur du nouvel article 175 du code de procédure pénale, modifié par la loi du 23 mars 2019 n°2019-222.
L’article 175 apparaît au Titre III du code de procédure pénale et fixe en partie le régime de la fin de l’information judiciaire.
Lorsque le Juge d’instruction estime que l’information est achevée, il transmet le dossier au Procureur de la République par ordonnance de soit-communiqué et en avise les parties.
Le Procureur de la République dispose d’abord d’un délai de 3 mois - 1 mois en cas de placement en détention - pour adresser son réquisitoire définitif. Pendant ce même délai, les parties peuvent formuler des demandes d’actes supplémentaires ou des requêtes en nullité. Dès qu’un acte est réalisé, le délai repart à zéro.
Après la communication des réquisitions, un autre délai de 1 mois court - 10 jours en cas de placement en détention - lors duquel les parties peuvent formuler des observations au vu du réquisitoire.
A l’issue de ces deux étapes, le magistrat instructeur rend une ordonnance de règlement. Il peut s’agir d’une ordonnance de non lieu ou d’une ordonnance de renvoi:
L’ordonnance de non-lieu intervient lorsqu’il n’y a pas lieu à poursuivre (notamment cas de décès, si les faits reprochés ne tombent pas sous le coup de la loi pénale, qu’ils sont prescrits, qu’il n’existe pas de charges suffisantes ou encore une cause d’irresponsabilité).
L’ordonnance de renvoi signifie que le Juge d’Instruction estime que les faits constituent un délit, le mis en examen est renvoyé devant la juridiction compétente pour être jugé. L’ordonnance met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire à moins que le Juge en décide autrement, par ordonnance distincte et spécialement motivée. Une fois que l’ordonnance de renvoi devient irrévocable, elle purge les nullités de procédure, lesquelles ne pourront plus être soulevées devant le Tribunal correctionnel (articles 178 et 385 du code de procédure pénale).
Les différentes mesures pouvant être exercées par les parties à partir de l’avis d’information peuvent être déterminantes sur le réquisitoire et surtout l’ordonnance de règlement rendue par le Juge d’Instruction lors de la clôture.
Il s’agit des actes prévus aux articles 81 du code de procédure pénale (examen médical, un examen psychologique, enquête sociale), 82-1 (audition, confrontation, production de pièces), 82-3 (constater la prescription de l’action), 156 (solliciter un expertise) et 173 (présenter une requête en nullité).
Une confrontation, une audition, un examen psychologique, une nullité..., ces différents actes peuvent totalement changer le cours de l’instruction et son issue. Ils garantissent les droits de la défense pendant l’information (article 175 alinéa 4).
Il en va de même du droit de présenter d’ultimes observations écrites au Juge d’instruction dans un délai de 1 mois ou 10 jours après la communication des réquisitions (article 175 alinéa 6).
L’alinéa 3 du nouvel article 175 du code de procédure pénale dispose que:
«Dans un délai de quinze jours à compter soit de chaque interrogatoire ou audition réalisés au cours de l’information, soit de l’envoi de l’avis prévu au I du présent article, les parties peuvent faire connaître au juge d’instruction, selon les modalités prévues à l’avant-dernier alinéa de l’article 81, qu’elles souhaitent exercer l’un ou plusieurs des droits prévus aux IV et VI du présent article ».
Une fois que l’avis de fin d’information est émis - qu’un interrogatoire ou une audition est réalisé – les parties ont 15 jours pour indiquer au Juge d’instruction leur intention de formuler des observations écrites ou de faire des demandes d’actes précités (articles 81, 82-1, 82-3 156 et 173).
Le nouvel article 175 du code de procédure pénale instaure une déclaration préalable à l’exercice des droits de la défense (1) dans un délai particulièrement bref (2).
1. L’exercice des droits de la défense, conditionné à une déclaration d’intention.
Solliciter une expertise, un examen médical ou psychologique, une enquête sociale, une nouvelle audition ou une confrontation, la production de pièces, ou encore adresser des observations et présenter une requête en nullité – tous ces droits deviennent conditionnels.
Ces droits sont soumis à une déclaration préalable d’intention de les faire valoir.
Si les parties ne manifestent pas leur volonté d’exercer leurs droits, elles seront irrecevables à les invoquer.
On conviendra que cette nouvelle condition déclarative est à l’opposée du renforcement des droits de la défense.
Les parties ayant omis de respecter la formalité à compter du 1er juin 2019 seront privées de la possibilité de:
Formuler des observations ou effectuer des demandes pendant le délai de 1 ou 3 mois dans l’attente de la communication des réquisitions du Procureur. Article 175 alinéa 4:
«Si elles ont indiqué souhaiter exercer ces droits dans les conditions prévues au III, les parties disposent, selon les cas mentionnés au II, d’un même délai d’un mois ou de trois mois à compter de l’envoi de l’avis prévu au I pour adresser des observations et exercer les droits des articles 81, 82-1, 82-3 156 et 173 du code de procédure pénale».
Formuler des observations dans le délai de 1 mois ou 10 jours après la communication des réquisitions du Procureur. Article 175 alinéa 6:
«Si les parties ont indiqué qu’elles souhaitaient exercer ce droit conformément au III, elles disposent d’un délai de dix jours si une personne mise en examen est détenue ou d’un mois dans les autres cas pour adresser au juge d’instruction des observations complémentaires à compter de la date à laquelle les réquisitions leur ont été communiquées».
N’est-il pas invraisemblable de devoir annoncer au juge qu’on entend faire usage des droits de la Défense? Et encore plus grave, de risquer de perdre l’usage de ces droits si on oublie de l’annoncer?
Pourtant depuis le 1er juin 2019, il faut indiquer qu’on souhaite répliquer aux réquisitions, 3 mois avant qu’elles ne soient prises, et dont le sens est nécessairement inconnu à ce stade. A défaut, impossible de formuler des observations après communication.
Tout conseil engagerait sa responsabilité professionnelle en s’abstenant d’effectuer la formalité, c’est-à-dire en ne préservant pas les droits des parties.
Concrètement, les avocats émettront automatiquement un acte type de «déclaration d’intention», dans les formes de l’article 81 du code de procédure pénale.
Une attention toute particulière sera accordée à l’énumération des droits que la partie souhaite exercer.
La déclaration de l’article 175 pourra viser l’intégralité des articles 81, 82-1, 82-3 156 et 173 du code de procédure pénale, pour avoir la certitude de ne renoncer tacitement à aucun droit.
2. Des délais restreints pour manifester son intention d’exercer ses droits.
L’utilisation du terme «soit» signifie la partie peut déclarer qu’elle souhaite faire usage de ses droits alternativement:
dans un délai de 15 jours après une audition;
dans un délai de 15 jours après un interrogatoire;
dans un délai de 15 jours à compter de l’envoi de l’avis de fin d’information.
Le texte n’exige pas la répétition de la formalité à chaque audition, interrogatoire, ou avis.
La déclaration vaut une fois pour toute, à moins qu’elle ne vise pas tous les droits.
Les parties effectueront donc une déclaration la plus complète possible, et au mieux dès les auditions et interrogatoires. Le but est d’éviter de passer à la trappe après l’avis de fin d’information...
En effet, on ne peut que regretter que le délai de 15 jours ne commence à courir qu’à compter de «l’envoi» de l’avis de fin d’information et non à compter de sa «réception».
Une lettre RAR peut mettre plusieurs jours à parvenir à son destinataire - sans parler du cas où le justiciable est détenu - ce qui laisse un temps particulièrement réduit pour faire connaître sa volonté de faire usage de ses droits.
Force est de constater que la nouvelle condition de déclaration limite sensiblement les droits de la Défense.
Non seulement ils sont soumis à une déclaration préalable, mais encore, cette déclaration est encadrée par un délai extrêmement bref. Nouveau coup dur pour les droits des parties.
Et quid du Procureur de la République? Lui aussi sera-t-il soumis à la formalité? Le texte est silencieux sur la question.
Sous couvert de bonne administration de la justice, le législateur a pour objectif de permettre un règlement plus rapide de l’information judiciaire, qui ne puisse être remis en cause par l’exercice tardif de ses droits par une partie.
Accélérer la procédure, au mépris de droits fondamentaux dont on se revendique fièrement.
Si la formalité n’est pas réalisée, les parties ne pourront définitivement plus formuler d’observations à compter de la communication des réquisitions, ce qui réduit la durée de la procédure de 1 mois ou de 10 jours selon que la personne est détenue ou non.
Accélérer la procédure pour gagner 1 mois ou 10 jours, mais à quel prix? Celui de sacrifier les droits de la Défense sur l’autel des statistiques et des quotas annuels d’instructions?
Le Conseil Constitutionnel a été saisi d’un contrôle de constitutionnalité à priori portant sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice – lueur d’espoir déçue.
Sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789, les sénateurs ont dénoncé une atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, et ont également contesté l’intelligibilité des dispositions de l’article 175.
Sur ce point, le Gouvernement a présenté les observations suivantes: «Dans un souci de simplification et de rationalisation de délais que, fréquemment, les parties n’utilisent en pratique pas mais qui n’en retardent pas moins la clôture, les I et II de l’article 56 modifient les articles 84-1 et 175 du code de procédure pénale pour prévoir que le règlement ne sera contradictoire que pour autant que les parties auront fait connaître, dans les quinze jours suivant tout interrogatoire ou audition réalisés au cours de l’instruction, ou dans les quinze jours de l’envoi de l’avis de fin d’information, qu’elles entendent présenter des observations écrites, formuler des demandes d’actes ou présenter des requêtes en annulation. Les articles 116 et 89-1 étant corrélativement modifiés par les VII et IX de l’article 56 pour garantir que le droit de formuler une telle demande sera notifié en temps utile aux parties, il n’en résulte pour elles aucune atteinte à leurs droits».
Dans la décision n°2019-778 DC en date du 21 mars 2019, les Sages de la Rue Montpensier ont jugé que les dispositions du nouvel article 175 «qui ne sont pas inintelligibles et qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution».
Cette décision exclut d’éventuelles Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC) faute de remplir la condition de nouveauté, ce qui aboutit à une situation bloquée.
Vous l’aurez compris, l’article 175 du code de procédure pénale suscite de nombreuses inquiétudes parmi les professionnels du droit et contredit les objectifs de la réforme, «simplifier la procédure pénale pour la rendre plus efficace, dans le respect des exigences conventionnelles et constitutionnelles».